Port des Barques

Port des Barques

vendredi 22 décembre 2017

Alain Fabre-Catalan et Eva-Maria Berg Une parole offerte à l'espérance




         des arbres bordent
         le cortège d'un deuil
         qui ne finit pas
         toujours sans cesse
         une feuille se détache
         brusquement
         dans le blanc
         les yeux
         se noient sans
         jamais parler
         de couleur ni
         jamais pouvoir
         crier

         Éva-Maria Berg in Le voyage immobile, éditions du Petit Véhicule 2017, p.44

  Lors de ce voyage immobile, Alain Fabre-Catalan et Eva-Maria Berg choisissent de mettre des mots,
  chacun dans sa langue, sur ces hauts lieux du souvenir qu'ont été les camps d'expérimentations
  et d'exterminations nazis, durant la dernière guerre.
  Il en découle une magnifique suite de textes, qu'illustrent, comme autant de fumerolles où
  s'agrippent les corps absents, de superbes dessins de Jean-Marie Cartereau.

 
         Flammes levées
         vers les plus hautes feuilles,

         un ultime éblouissement assiège l'horizon.

         Alain Fabre-Catalan, in Le voyage immobile, éditions du Petit véhicule 2017, p.22

   À les lire, je me suis retrouvée soudain par la pensée en Alsace en 1968, juste à
   quelques kilomètres de Strasbourg, dans la chambre d'expérimentations médicales,
   carrelée de blanc, du camp allemand d'extermination et de travaux forcés du Struthof
   à écouter les commentaires du guide d'alors, qui n'était autre que l'un de ses anciens rescapés.
 
  En ce lieu, qui paraissait d'autant plus cynique que le paysage alentour était d'une sublime et
  sauvage beauté, l'indicible témoignait de ce qui fut sans mesure...
  Notre petit groupe se trouvait confronté pour la première fois aux vestiges d'un meurtre de masse
  accompli sur notre propre sol et dont nous n'avions pas eu connaissance jusqu'alors.
  De jeunes visiteurs allemands étaient également présents dans cette salle, qui furent pris d'un rire
  nerveux et glaçant. Il nous arrive de rire pour masquer notre émotion...
  Les poèmes  d'Eva-Maria Berg  et d'Alain Fabre-Catalan, par le duo accordé et respectueux qu'ils
  instaurent, viennent balayer ce souvenir choquant.
 
         se taire

         que les voix éteintes
         résonnent encore

        

         aller sur leurs traces
         celles qui
         sont éteintes
         les pieds
         brûlants et
         les yeux
         brouillés
         en face
         du ciel

         in Eva-Maria Berg, p.p.47.48

         Contre le feu de l'oubli,
         la litanie des noms est la seule réponse

         ibid Alain Fabre-Catalan, p.14

         Pas même l'envolée d'une phrase
         ne saurait les tirer du néant,

         de l'indicible vertige qui ravine le ciel
         à la cime des bouleaux.

         ibid Alain Fabre-Catalan, p.21

         qui encore et
         encore disperse
         les feuilles
         pour donner
         de l'espace à
         la nouvelle saison

         ibid Eva-Maria Berg, p.49

 Le temps d'émettre des vœux approche,  je formule, ici, les miens :

Que la nouvelle saison soit celle du respect de l'autre et de l'entente cordiale dans laquelle nos pays réciproques se sont depuis engagés.

Que les auteurs courageux de ce long et vibrant poème qu'est Le voyage immobile, rédigé à quatre mains, trouvent un large écho à leurs voix et en éprouvent un profond apaisement.
Que leur geste conjoint prenne toute sa dimension aux yeux du monde : si en 2017, un poète catalan d'origine, né en 1947 dans les Pyrénées-Orientales, et une poétesse allemande, née à Düsseldorf après la dernière guerre,  choisissent délibérément d'exprimer dans un même livre leur désir de survivre au désenchantement du monde, c'est bien dans l'espoir de voir la paix triompher des cendres et brouillards.

bibliographie :
  • Le voyage immobile, Alain-Fabre Catalan et Eva-Maria Berg, dessins de Jean-Marie Cartereau, 2017
sur internet :


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