Port des Barques

Port des Barques

vendredi 26 mai 2017

Max Jacob ce petit homme frêle

                                             
                                                       


          La première image, c'est un petit homme frêle,
          mais qui ne tient plus en place une fois qu'on l'appelle.

          Timide, il est partout chez lui, à Paris comme à Quimper,
          clinquant avec les riches et claquant dans la misère.

          S'il folâtre avec tous, chante et danse fait mille pirouettes
          sans voir dans son dos les grimaces, les poissons, les signes qu'on l'arrête,

          c'est qu'il veut à tout prix qu'on le regarde et qu'on l'aime,
          maintenant qu'il a vu Dieu dans sa chambre et qu'il n'est plus le même.

          Il a beau se mettre en frac, chapeau claque et monocle,
          jamais il n'aura l'air d'une statue sur son socle.

                               Ah! qu'il est beau ! qu'il est beau !
                               Ah ! qu'il est beau ! qu'il est beau !
                                                      Tiou !

           Guy Goffette in Petits riens pour jours absolus, Gallimard, 2016, p.p 31/32


                                                        II


           C'est un petit homme gris, mais il a des yeux d'opéra,
           des yeux de femme, des yeux de velours noir avec comme une aura

           de larmes et d'alarmes, des yeux qui prient matin, rient à midi, pleurent au soir,
           car il connaît la couleur des drames passés, présents, futurs, et l'histoire

           et le mouvement des astres et le chiffre des choses comme un mage.
           Il n'a pas son pareil pour mettre sa vie et sa mort en images,

           mais il ne peut rien faire contre sa propre chair qui tire
           que demander pardon et que s'éloigne le martyre.

           C'est un petit saltimbanque, rien dans les mains, rien dans les poches,
           mais le cœur a chez lui plus de tours que la montagne de roches.

                                Ah! qu'il est beau ! qu'il est beau !
                                Ah! qu'il est beau ! qu'il est beau !
                                                       Tiou !

           Guy Goffette,  in Petits riens pour jours absolus, Gallimard 2016, p.p.33/34


                                                       III

            C'est un petit homme grave, mais qui pleut en courant comme une averse d'été
            quand la terre à soif et que l'âme penche du mauvais côté.

             On vient le voir de partout, il reçoit chacun comme un prince, mais demeure
             ce pauvre sous l'escalier qui s'éclaire avec son sourire et qui pleure.

             Les poèmes qu'il écrit sont si drôles qu'on le prend pour un bouffon,
             mais la déchirure de sa vie est dedans cachée sous un double fond.

             Ceux qui savent lire l'entendent comme un coup de fusil.
             Il faut mourir à soi pour entrer vivant dans la poésie.

             Et c'est ce qu'il a fait, Max, de Montmartre à Saint-Benoît- sur Loire,
             avant qu'on lui donne son étoile jaune et toute la mer à boire

                                                                                          mai 2012 

             Guy Goffette in Petits riens pour jours absolus, Gallimard 2016, p.p35/36  

Ces trois poèmes de Guy Goffette, qui figurent dans Petits riens pour jours absolus, au chapitre Portrait de Max en accordéon, m'ont donné envie de revenir sur l'héritage poétique
laissé par Max Jacob, ainsi que sur ses nombreux et précieux conseils à propos de poésie.

Pour plus de clarté, tous les textes de Max Jacob sont tapés en italique à l'inverse de ceux de Guy Goffette.

Les refrains Ah! qu'il est beau ! qui closent deux des hommages précédents, font allusion à un poème de Max Jacob, paru dans Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Martorel, que voici :



           Pour les enfants et pour les raffinés

           À Paris
           Sur un cheval gris
           À Nevers
           Sur un cheval vert
           À Issoire
           Sur un cheval noir
           Ah! qu'il est beau ! qu'il est beau !
           Ah! qu'il est beau ! qu'il est beau !
           Tiou !

           C'est la cloche qui sonne
           Pour ma fille Yvonne.
           Qui est mort à Perpignan ?
           C'est la femm' du commandant.
           Qui est mort à la Rochelle ?
           C'est la nièce au colonel !
           Qui est mort à Épinal ?
           C'est la femme du caporal !
           Tiou !

          Et à Paris, papa chéri.
          Fais à Paris ! Qu'est-ce que tu me donnes à Paris ?

          Je te donne pour ta tête
          Un chapeau noisette
          Un petit sac en satin
          Pour le tenir à la main.
          Un parasol en soie blanche
          Avec des glands sur le manche
          Un habit doré sur la tranche
          Des souliers couleur orange
          Ne les mets que le dimanche
          Un collier, des bijoux
          Tiou !

          C'est la cloche qui sonne
          Pour ma fille Yvonne !
          C'est la cloche de Paris
          Il est temps d'aller au lit
          C'est la cloche de Nogent
          Papa va en faire autant.
          C'est la cloche de Givet
          Il est l'heure d'aller se coucher.

         Ah ! non ! pas encore ! dis!
         Achète-moi aussi une voiture en fer
         Qui lève la poussière
         Par devant et par derrière,
         Attention à vous ! mesdames les garde-barrières
         Voilà Yvonne et son p'tit père
         Tiou!

         in Max Jacob, par André Billy, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1956, p.p.85/86/87

 
Max Jacob se présente ainsi dans Le Cornet à dés :
                                
         Genre Biographique

         Déjà à l'âge de trois ans, l'auteur de ces lignes était remarquable : il avait fait le portrait de sa
         concierge en passe-boule, couleur terre-cuite, au moment où celle-ci, les yeux pleins de
         larmes, plumait un poulet. Le poulet projetait un cou platonique. Or, ce n'était, ce passe-
         boule qu'un passe-temps. En somme, il est remarquable qu'il n'ait pas été remarqué :
         remarquable, mais non regrettable, car s'il avait été remarqué, il ne serait pas devenu
         remarquable ; il aurait été arrêté dans sa carrière, ce qui eût été regrettable. Il est
         remarquable qu'il eut été regretté et regrettable qu'il eut été remarqué. Le poulet du
         passe-boule était une oie.

         Max Jacob in Le cornet à dés, Poésie/Gallimard, 1978, p.101
        
Né le 11 juillet 1876, à Quimper, dans une famille juive émigrée de la Rhénanie prussienne, il a cinq frères et sœurs et son père est tailleur-brodeur. – On peut entrer dans la cour de sa maison familiale transformée en musée, par le quai sur l'Odet–. Après son baccalauréat de Philosophie, couronné du Prix d'Honneur du Lycée, et suite à un violent différent avec sa famille, qui aimerait le voir renoncer à une vie d'artiste, il part "sans malle et sans pardessus pour Paris.

Pour subsister, il sera tour à tour, professeur de piano, bonne d'enfant, apprenti-menuisier, clerc d'avoué, employé de commerce et secrétaire et aussi rédacteur d'horoscopes, bien avant d'être peintre et critique d'art, poète, romancier, pécheur repenti et ardent converti.
On a écrit à son propos tout et son contraire, aussi me suis-je appuyée sur les témoignage et la correspondance échangée avec ses amis de L'École de Rochefort pour rédiger cet article.
Les amis du moment se nomment Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Pierre Reverdy et André Salmon.
De sa rencontre avec Picasso, dès 1901, il dit: "le seul homme qui m'en ait bouché un coin"!
Ils partageront la même chambre à Montmartre, en y dormant chacun à tour de rôle, car il n'ont qu'un lit pour deux et tirent le diable par la queue.

Michel Manoll, son ami, écrit que lorsqu'il lui arrivait d'évoquer ces années en sa présence, Max, les larmes aux yeux s'écriait : "Tu crois que c'était drôle! la faim, le désespoir, le hasard des emplois?"

En 1909, Max a une première apparition. Dans une aquarelle accrochée au mur de sa chambre, il voit le corps et le visage du Christ, il en est bouleversé, et décide de se convertir au catholicisme, ce qui prendra du temps et ne se fera pas sans persévérance et une grande réticence de la part de l'église.

 
 
Portait de Max Jacob par Picasso

                                                    
         
                                                                    
Les titres de ses recueils sont surréalistes : Le Cornet à dés, Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel, L'homme de cristal, Le laboratoire central ou Les pénitents en maillots roses. Le ton employé est plutôt celui de la dérision ou de la parodie

          LA DAME AVEUGLE

          La dame aveugle dont les yeux saignent choisit ses mots
          Elle ne parle à personne de ses maux

          Elle a des cheveux pareils à la mousse
          Elle porte des bijoux et des pierreries rousses.

          La dame grasse et aveugle dont les yeux saignent
          Écrit des lettres polies avec marges et interlignes

          Elle prend garde aux plis de sa robe de peluche
          Et s'efforce de faire quelque chose de plus

          Et si je ne mentionne pas son beau-frère
          C'est qu'ici ce jeune homme n'est pas en honneur

          Car il s'enivre et fait s'enivrer l'aveugle
          Qui rit, qui rit alors et beugle.

                                            Le Laboratoire Central

          in Max Jacob, par André Billy, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1956, p.144

Le 18 février 1915, il est enfin baptisé à sa grande joie, avec Picasso pour parrain. Max envisage dès lors avec son directeur de conscience de "changer de vie".


En juin 1921, il s'installe pour la première fois à Saint Benoît sur Loire, au presbytère, partageant son temps entre l'écriture et la prière.
Au bout de six années, coupées heureusement de voyages en Italie, en Espagne et en Bretagne, la solitude lui pèse tant, confiné qu'il est dans un si petit et austère village, qu'il retourne à Paris, signe un contrat avec une galerie pour ses gouaches et s'adonne un temps à une nouvelle vie de dandy.


Mais il décide de revenir à Saint Benoît sur Loire, où à partir de 1936, il mène la vie d'un oblat de l'abbaye, mais il habite une chambre louée dans le village, sert la messe chaque matin, communie tous les jours et participe aux offices du soir. 

Toute une jeune génération de poètes, dont il devient alors le conseiller, le consulte par courrier. Il échange volontiers avec eux, au cours de cette dernière phase de sa vie, nous laissant quantité de longues lettres, suivies en général d'un post-scriptum, envoyées de Saint Benoît sur Loire.

Il en est ainsi, à partir de 1937, de celles adressées à ses jeunes amis artistes de L'École de Rochefort. Trouvez votre cœur et changez le en encrier" écrivait-il à Michel Manoll, Louis Guillaume, Jean Rousselot, René-Guy Cadou, Roger Toulouse, Marcel Béalu, mais aussi à Edmond Jabès, jeune poète, qui lui écrit du Caire et dont il deviendra le guide, dès l'arrivée de ce dernier à Paris, en 1935.
Edmond Jabès lui dédira son recueil Chansons pour le repas de l'ogre, 1943-1945, avec ces mots :
"À la mémoire de Max Jacob ... parce qu'il y a peut-être une chanson liée à l'enfance qui, aux heures les plus sanglantes, toute seule défit le malheur et la mort."

Il y reçoit également nombre de visiteurs de passage, plus ou mondains ou célèbres, connus dans sa vie antérieure. L'image de Max Jacob toujours bien mis, redingote et chapeau melon, ne laisse pas soupçonner qu'il vit chichement de ses gouaches et de ses dessins et d'une pension dont il bénéficie, suite à un grave accident.

Pleines de bonté, d'esprit et de vivacité, ses lettres donnent une idée précise de sa vie, de son sens de l'amitié et de la clarté de son jugement en art comme en littérature mais aussi de son état d'esprit et de son inquiétude grandissante, devant la guerre qui se profile et la montée de l'antisémitisme.
À partir du 3 octobre 1940, il est rayé de la liste des adhérents à la Société des gens de Lettres et n'a plus droit à ses droits d'auteur. Il ne signe plus de son nom et devient pour la poste "Monsieur Max".

Plus que sa poésie, accessible autrement, ces pages m'ont semblé importantes à partager pour tous les conseils qu'il partage avec ceux qui le consultent.

Lettre à Louis Guillaume, du 3 septembre 1941

         Il ne faut pas être un puriste de style. Il faut écrire selon un plan mais d'inspiration puis revenir avec "précaution" sans abîmer le sentiment ni l'élan. Il ne faut pas vouloir un chef-d'œuvre, le chef-d'œuvre vient malgré soi. Si tu penses "fort" tu écriras "fort" ce qui est l'essentiel. Pour écrire fort il faut ruminer longtemps ce qu'on va dire, alors on choisit le mot qui fait relief et qui exprime.
Je t'aime et t'embrasse.
                                                                                                                       Max Jacob

in Max Jacob, Lettres à Louis Guillaume, éditions La part Commune, 2007, p.34

Lettre à Louis Guillaume, du 18 février 1942

         Bien penser un mot avant de s'en servir, y penser dans sa beauté encore plus que dans sa signification, bien penser un vers, le penser dans les voyelles et les consonnes, mais surtout penser le mot comme une plaie dans la chair.

ibid p.p.82/83


Lettre à Michel Manoll, du 6 mars 41

          Je pense que le Surréalisme et l'anté-surréalisme sont morts. La poésie (qui va prendre et a pris beaucoup d'importance) sera une poésie d'émotion, de suites et de variations syntaxiques dues au sentiment.

in Max Jacob, Lettres à Michel Manoll, Rougerie, 1985, p.79

Lettre à Michel Manoll, du 17 octobre 41

          La solitude est impossible sans Dieu. Ou en tout cas sans un travail particulièrement absorbant, continuel et non arrêté. Si on y ajoute notre pauvreté et ta misère. Quant à moi je n'en sens guère le poids et je la préfère aux estivants, sauf les poètes amis et aimés. (...)

in Max Jacob, Lettres à Michel Manoll, Rougerie, 1985, p.100

Dans une autre lettre à Michel Manoll, Max Jacob délivre ce conseil plein d'humour, le 20 avril 1943, conseil , dont j'ai pris soigneusement note, pratiquant moi-même, sur le tard, l'estampe :

          Cher ami
Je vais te donner un conseil que tu ne suivras pas – tant pis! n'apprends rien en matière de peinture. Si tu apprends tu te mets sur les rangs des peintres et tu es foutu parce que tu as vingt ans de retard. Si tu apprends tu te donnes un tintouin pour observer les règles, et tu perds l'émotion (et l'émotion c'est tout). Si tu n'apprends pas, tu restes une agréable exception tu es hors-cadre et personne n'a rien à te reprocher tu es "pays neutre" comme la Suisse.
                                                                                                                   p.125

Conseils à un jeune poète, suivis de Conseils à un étudiant, rédigés en juin 1941 sur un cahier d'écolier et à la manière de Rilke, à la suite d'une rencontre avec un jeune étudiant en médecine à Montargis, sera édité seulement après sa mort. Le livre s'ouvre par ces mots :

" J'ouvrirai une école de vie intérieure, et j'écrirai sur la porte : école d'art".
                                                                                                                   p.15

" La véritable invention vient d'une conflagration de pensées et de sentiments.
                                                                                                                   p.17

" Les idées n'ont rien à voir avec la poésie: c'est l'inexprimable qui compte.
                                                                                                                   p.20

"Si vous n'êtes pas blessé par l'extérieur ou réjoui par l'extérieur, jusqu'à la souffrance, vous n'avez pas la vie intérieure et si vous n'avez pas la vie intérieure, votre poésie est vaine"
                                                                                                                   p.24.

"Souvenez-vous à jamais de cette parole : Au début de toute carrière, il y a un miracle de travail.
Et travail veut dire solitude."
                                                                                                                   p.44

" Le courage est la base de toutes les vertus. C'est l'une des vertus les plus utiles. Le courage mène à tout, à l'excellence, à la réussite matérielle, à la sainteté, à l'intelligence. Il n'y a pas que dans les grandes circonstances qu'on peut montrer du courage. Il faut du courage pour se lever, s'habiller, être propre, persévérer dans l'introspection, s'appliquer à un travail, du courage pour être bon, patient, zélé, charitable et éviter ce qui déplaît à Dieu."
                                                                                                                   p.84

Pour finir, Max Jacob ajoute humblement :
"N'allez surtout pas croire que je suis ainsi. Mais ce que je ne sais pas faire, vous le saurez peut-être."


Se voir vivre, voir vivre les autres...C'est la vie intérieure, cette réflexion semble être un des principaux fruits de sa conversion.

Il survit alors grâce aux autographes et dessins qu'il gribouille sur ses propres livres, qui, selon lui, enrichissent son relieur mais lui sont relativement bien payés. Ainsi dans une lettre à Jean Colle en date du 20 octobre 1943, écrit-il :

         "Je ne peux plus peindre: la peinture se craquelle !! Le dessin un peu. J'illustre des exemplaires de mes livres que des bibliophiles m'envoient avec un billet de mille francs. Je m'ennuie sans me plaindre. L'ennui fait quelquefois partie de la paix et du bonheur."

in Les amitiés et les amours, Correspondances Tome III, L'Arganier, 2007, p.70


 
Autoportrait par Max Jacob 1938


Le 22 Mars 1942, il met, en guise de post-scriptum à une lettre adressée à Michel Manoll, ces mots:

Félicitons-nous de n'être ni en prison, ni à l'hôpital, ni dans les camps de concentration, ni en Allemagne, ni en Russie. Il faut regarder au-dessous de soi pour être heureux (?)

À Saint Benoît sur Loire, il porte certes l'étoile jaune – mais accrochée à sa Légion d'honneur! – et s'attend à être bientôt appréhendé.
En effet, depuis décembre 1941, il est sans nouvelles de son frère aîné prisonnier quelque part, en Allemagne. La disparition de son beau-frère, raflé avec 1.000 autres juifs, dans Paris, laisse sa plus jeune sœur aux abois. (Celui-ci mourra au camp de concentration de Compiègne, en mars 42.) Son frère aîné, installé depuis toujours à Quimper et  gardien de ses sœurs, est emmené pour une destination inconnue, le 16 décembre 1942. Sa jeune sœur est arrêtée à son tour, à Paris le 4 janvier 1944. Max Jacob remue ciel et terre pour la sauver mais en vain. Au désespoir, il se doute de ce qui l'attend mais conserve toute sa dignité.

Arrêté, à Saint Benoît sur Loire, fin février 1944, il est transféré à Orléans, puis au camp du Drancy. Des amis essaient d'intervenir mais tout va très vite, il a pris froid durant son séjour à la prison d'Orléans et  meurt hélas! de pneumonie, à Drancy, à l'âge de 66 ans, le 5 mars 1944 au soir.
Le lendemain le 6 mars 44, ses amis apprennent qu'il est mystérieusement "libéré"!!
Inhumé d'abord au cimetière d'Ivry, son corps est ensuite ramené, selon ses dernières volontés, dans celui de Saint Benoît sur Loire, où il repose désormais.

En 1950, a été créé le prix de poésie qui porte son nom, le Prix Max Jacob, attribué à quelques uns de nos plus célèbres poètes.

J'ajouterai, en guise de conclusion, ces mots de Gilles Anthelme, qui figurent à la page 6, du n°16 de Créer, daté de novembre 1931 :

         "S'il fallait comparer Max Jacob à quelqu'un – comparer ? quelle manie ! – je nommerais :    
          Charlie Chaplin. Ce sont, en dépit du burlesque de la vie, masques tragiques et résignés. Les
          gestes cassés de l'un trouvent une exacte réplique dans le "mots" de l'autre."

**

Selon mon habitude, je vous encourage vivement à ouvrir les liens indiqués en annexe sur internet.
Vous y trouverez un article très documenté, sur Wikipédia, un autre à propos de son arrestation et des différentes tentatives d'interventions pour sa libération, ainsi qu'un bel article de Jacques Décréau sur le poète, accompagné d'un grand choix de poèmes et paru sur La Pierre et le sel, en 2012.


bibliographie:
  • Max Jacob, par André Billy, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1956
  • Le cornet à dés, Poésie/ Gallimard, 1978
  • Max Jacob, Conseils à un jeune poète, suivis de Conseils à un étudiant, Gallimard 1972
  • Max Jacob, lettres à Louis Guillaume, La Part commune, 2007
  • Max Jacob, lettres à Michel Manoll, Rougerie, 1985
  • Max Jacob Les amitiés et les amours, correspondances tome III, L'Arganier 2007
sur internet:

vendredi 19 mai 2017

Un jour un poème : Marie-Claire Bancquart




         Si lointaine
         si mal finie
         la peau du temps peut s'ouvrir sur un sourire.

         La chambre de tous les jours recule d'un siècle
         avec sa petite coquetterie : au plafond, des guirlandes
         de fleurs en plâtre.

         Par la fenêtre, le soleil mène jusqu'au fleuve
         où des arbres
         estompent la mémoire des bombardements pilonnant
         le sol,
         jadis.

         Fausse recluse
         j'occupe cette pièce où la chatte et l'amour
         partagent avec moi ce florissant Eden.

         in Figures de la terre, éditions Phi, 2017, p.21

Quoi de plus simple et de plus émouvant que cet instant de vie partagé ! Il suffit de lire ce texte pour pénétrer en un lieu de travail et de création, au plus intime de la vie du poète.

Ce tout dernier recueil de Marie-Claire Bancquart, paru chez Phi, en mars 2017, tient dans le plat de la main à la manière d'un livre d'heures.
Avec les années, la poète, qui pouvait naguère sembler un tantinet distante, se fait très proche de son lecteur et animée d'une telle confiance envers lui, qu'il aimerait par ces lignes la remercier de la chaleur partagée.

Je signale que l'auteure fera lecture de son recueil, le lundi 22 mai à 19h30 à la Librairie Tschann, 125 boulevard du Montparnasse, à Paris 6ème, métro Vavin.

Si vous souhaitiez en savoir davantage sur l'œuvre de Marie-Claire Bancquart, je vous renvoie aux articles rédigés antérieurement à son sujet, tant sur La Pierre et le sel que sur le Temps Bleu, durant ces dernières années :

vendredi 12 mai 2017

Emily Dickinson le cerf blessé bondit plus haut



                          288

         Je suis Personne ! Et vous ?
         Êtes-vous Personne aussi ?
         Dans ce cas, nous faisons la paire !
         Chut! On pourrait nous trahir – qui sait !

         Être Quelqu'un, que c'est morne !
         Que c'est commun de coasser son nom
         Tout au long de juin
         Au marais béat !

         in Poems Poèmes, Aubier Flammarion bilingue, 1970, p.71

J'ai plaisir à évoquer l'œuvre poétique d'Emily Dickinson( 1830-1886)  alors que vient de sortir sur les écrans un film, à propos de sa vie, qui m'a laissée sur ma faim.

Emily naît en 1830, dans une famille ultra puritaine du Massachusetts, dans la petite ville d'Amherst, lieu qu'elle ne quittera que pour suivre une année d'études dans un collège.
Elle commence à écrire des poèmes en 1858,  une poésie malicieuse et imaginative, ponctuée de tirets et de majuscules comme dans l'anglais ancien.
Cette typographie lui tient lieu de signature, quand elle n'apparaît pas c'est que son traducteur l'a  volontairement supprimée.

Ici, elle se présente dans une lettre,  écrite en avril 1862, à T.W.Higginson, critique littéraire, qu'elle s'est choisi pour "maître":
          
           Je suis allée à l'école, mais comme vous le diriez, je n'ai aucune instruction. Petite fille, j'eus un ami qui m'enseigna l'immortalité – mais lui-même s'aventura trop près d'elle – et, pour de nombreuses années, les Mots furent mes seuls compagnons. Ensuite j'en trouvai un autre, mais cela ne lui a guère plu que je sois son étudiante – aussi quitta-t-il le Pays.

Dans la seconde, datée de juin de la même année, elle se dépeint physiquement à la demande de son correspondant :

            Me croirez-vous – sans? Je n'ai pas de portrait sous la main, mais je suis petite comme le Roitelet, et mes cheveux rebelles, comme la Bogue d'une Châtaigne, et mes yeux, comme le Sherry dans le Verre, que le Visiteur n'achève pas – Cela fait-il l'affaire ?

Quand il se décide à venir la voir, en 1870, elle lui dit : "Si je lis un livre et qu'il rend mon corps entier si froid qu'aucun feu ne pourra jamais le réchauffer, je sais que c'est de la poésie. Si je ressens physiquement comme si le sommet de ma tête m'était arraché, je sais que c'est de la poésie. Ce sont les deux seules façons que j'aie de le savoir. y en a-t-il d'autres?"

Propos qui ne manquent pas de surprendre le dandy de salon qu'est T.W.Higginson.

                         520

         Partie tôt – Pris mon chien –
         Et rendu visite à la Mer –
         Les Sirènes logées en Bas
         Sont sorties pour me regarder –

         Et les Galions – au Premier Étage
         M'ont tendu des Mains de Chanvre –
         Me prenant pour une Souris –
         Échouée – sur les Sables –

         Dérangée par Personne – avant que le Flot
         N'ait trempé ma simple Chaussure –
         Et puis mon Tablier – et puis ma Ceinture
         Et puis mon Corsage – aussi –

         Comme s'Il voulait m'avaler –
         Tout entière comme la Rosée
         Sur la Manchette d'un Pissenlit –
         Alors – je suis partie – moi aussi –

         Et Lui – Il m'a suivie – de près –
         Je sentais Son Talon d'Argent
         Sur ma Cheville – Puis mes Souliers
         Ont été inondés de Perles –

         Jusqu'à la Ville Solide où Nous sommes allés –
         Il ne semblait connaître Personne –
         S'inclinant devant moi – avec un regard Terrible –
         La Mer s'est retirée –

         in Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduit et présenté par Patrick Reumaux, Librairie
         Elisabeth Brunet, Rouen, 1998, p.179

Pourtant elle n'a jamais vu la mer comme elle n'a jamais approché intimement un homme, qui lui fasse réellement la cour cependant rien ne l'empêche d'être amoureuse à plusieurs reprises car rien ne vaut l'imagination sinon l'audace poétique ! L'amour est comme les livres que son père lui achète en lui déconseillant de les lire.

         
Avec le temps, elle se démarque des siens, rompt avec la pratique religieuse, se retire peu à peu de la société, puis de la ville et même de son jardin. Tout de blanc vêtue, elle vit désormais cloîtrée dans sa maison, dont elle ne sort plus et entretient avec Dieu un dialogue très libre en poésie.

Le poème, qui suit, en donne un aperçu, il figure dans une lettre adressée en juillet 1862 à T.W.Higginson, il fut publié dans The Round Table du 12 mars 1864, sous le titre de My Sabbath.

                           324

         Certains vont le dimanche à l'église
         Et moi – je reste à la maison
         Avec un merle pour choriste
         Et pour voûte un verger.

         Certains vont le dimanche en surplis
         Et moi – je n'ai que mes ailes.
         Au lieu de sonner la cloche à l'église
         Notre petit sacristain chante.

         Le prône est dit par Dieu, prêtre connu,
         Et son sermon ne traîne pas.
         Si bien qu'au lieu d'aller au ciel, enfin,
         Je vais – mon petit train.

         in Emily Dickinson, Poems Poèmes, Aubier Flammarion p.87

Jamais, de son vivant, Emily ne lit à haute voix ces poèmes et jamais, à l'exception de sept d'entre eux, elle n'accepte de les publier. Par contre, elle les offre à ses nombreux correspondants, parents, amis et au "maître" élu. Le nombre de ces envois équivaut à un livre.

                          80

         Nos vies sont Suisses –
         Si calmes – si Tièdes –
         Mais un après-midi étrange
         Les Alpes oublient leurs Voilages
         Et nous voyons plus loin !

         L'Italie est là-bas !
         Mais toujours faisant le guet –
         Les Alpes graves –
         Les Alpes fatales
         En interdisent l'accès !

         in Escarmouches choix traduit de l'anglais ( Etats-Unis) et présenté par Charlotte Melançon
         Orphée La Différence, p.23

Ses thèmes de prédilection sont outre la nature qu'elle vénère, la vie intérieure et la mort, dont elle traduit d'un ton volontiers insolant l'aspect "fugitif" comparé à l'éternité.
Dotée d'humour, elle s'autorise à écrire ce qui lui vient, tout en faisant promettre à sa sœur de détruire après sa mort les 68 liasses de 18 à 20 poèmes, cousus ensemble, que recèlent une boîte. Cette dernière n'en fera rien, bien heureusement et s'emploiera à les publier.

Traduire ces textes reste cependant un exercice difficile, d'un traducteur à l'autre le résultat varie. 


                         135

          Water, is taught by thrist.
          Land – by the Oceans passed.
          Transport – by throe
          Peaceby its battles told –
          Love, by Memorial Mold –
          Birds, by the Snow.
                                                (1859 ?)


          On apprend l'eau – par la soif
          Et la terre – par les Voyages en mer –
          La Passion – par les affres,
          Et la paix – par les récits de guerre –
          L'Amour – par la Mort
          Et les oiseaux – par l'Hiver.

           in Escarmouches, Orphée La Différence, 1992, p.31
     
                         670

         Pour être hanté nul n'est besoin de chambre
         Nul besoin de maison :
         Les couloirs du cerveau l'emportent
         Sur les lieux matériels.

         Mieux vaut rencontrer à minuit
         Un spectre visible
         Que d'affronter, à l'intérieur,
         cet hôte – plus froid.

         Mieux vaut traverser une abbaye au galop,
         Les pierres à ses trousses,
         Que se rencontrer soi-même et sans armes
         En un endroit désert.

         Cet être caché par le Moi
         Devrait bien plus nous effrayer :
         Un assassin tapi chez nous
         Serait une moindre horreur.

         Le corps emprunte un revolver
         S'enferme à double tour –
         Mais oublie un Spectre plus ample –
         Ou pire encore –

         in Emily Dickinson, Poems Poèmes, Aubier Flammarion 1970 p.161
        

                          165

         Le cerf blessé bondit plus haut,
         M'a dit un jour un chasseur :
         Ce n'est qu'une mortelle extase,
         Après quoi le hallier se tait.

         L'eau jaillit du rocher qu'on frappe;
         L'acier martelé rebondit;
         La joue est toujours plus rouge
         Là où la fièvre la consume.

         La joie est la cotte où l'angoisse
         Cherche une protection prudente
         Pour que, voyant soudain le sang,
         On ne crie : " Mais – tu es blessée !"

         ibid p.57

                          695

         Si la mer s'ouvrait
         Et dévoilait une autre mer –
         et celle-là – une autre encore – et toutes Trois
         N'étaient que l'annonce –

         D'une infinité de Mers –
         Libres de Rivages –
         Elles-mêmes Rives de Mers à venir –
         L'Éternité – la Voilà –

         in Dickinson Vivre Avant l'éveil, Arfuyen, 1989, p.29

                   
                           739

         J'ai souvent cru la Paix venue
         Quand la Paix était lointaine –
         Comme les Naufragés – pensent apercevoir la Terre –
         En plein Centre de la Mer –

         Et relâchent leur lutte – pour découvrir enfin
         Aussi inexorablement que moi –
         Combien de Rivages fictifs –
         S'étendent avant le Port –

         ibid p.31


 Hélène Cadou, poète et veuve du poète René-Guy Cadou, a été la première à évoquer devant moi l'œuvre d'Emily Dickinson.
C'était en 1990, à l'occasion de la parution en français, chez Hatier, du livre L'autoportrait au roitelet, qui se présente comme un ensemble de lettres, adressées par Emily aux sœurs Norcross, ses cousines et à T.W.Higginson. Lettres entrecoupées de poèmes dont celui-ci :

          La Gloire est une abeille.
              Elle a un chant –
          Elle a un dard –
              Ah, elle a un dard aussi.

          in Emily Dickinson, Autoportrait au roitelet, traduit par Patrick Reumaux, Hatier 1990 p.278


Rien ne vient sans blessure, mort et déchirement, Emily Dickinson l'a compris dès l'adolescence au décès de sa meilleure amie, qu'elle a tenue à voir morte. La poésie survit parfois par miracle, elle qui nous vaut ce mille deux cent douzième poème de l'auteur :

           1212

           On dit
           Un mot est mort
           Une fois dit.
           Je dis que justement
           Il commence sa vie
           Ce jour-là.
                                (1872 ?)

           in Emily Dickinson, 56 Poèmes, suivi de Trois lettres, traduction de Simone Normand et
           Marcelle Fonfreide, Le Nouveau Commerce, 1996.

Bon vent à cette poésie, qu'elle vole sur le net jusqu'aux frontières du cœur, qu'elle pénètre au secret d'un monde inquiet et divisé et qu'elle redonne espoir.


Bibliographie:

  • Emily Dickinson, Poems Poèmes, traduction de Guy Jean Forgue, Flammarion, 1970
  • Dickinson Vivre avant l'éveil, Arfuyen, 1989
  • Emily Dickinson, Autoportrait au roitelet, Correspondance, traduit de l'anglais par Patrick Reumaux, Hatier 1990
  • Emily Dickinson, Escarmouches, choix traduit et présenté par Charlotte Melançon, Orphée La Différence 1992
  • Emily Dickinson, 56 Poèmes, suivi de Trois lettres, traduction de Simone Normand et Marcelle Fonfreide, Le Nouveau Commerce 1996.
  • Emily Dickinson Le Paradis est au choix, traduit et présenté par P.Reumaux, Librairie Elisabeth Brunet Rouen 1998
sur internet:


        



vendredi 5 mai 2017

Fouad El-Etr exprimer l'indicible



         SI ELLE PENSE

         Si elle pense je l'entends
         Si elle bouge mon cœur bat
         Si elle rêve j'apparais

         Si je bois elle s'enivre
         Quand elle est là j'ai soif
         Et faim et je suis ivre
 
         in Là où finit ton corps, éditions La Délirante,1983, p 21

 Le poète célèbre tout au long de ce recueil la femme qu'il aime, tant et si bien que le jet d'eau a un profil de jeune fille...et l'herbe se souvient de son allure si légère, et que nous sommes pleinement sous le charme de sa voix.

         GRANDS OUVERTS

         Ainsi dormons-nous grand ouverts
         Comme les deux pages d'un livre
         Sur tant de feuilles déjà noires
         Et sur ces feuilles toutes blanches
         Qui ne seront jamais écrites
         Que dans les songes

         ibid  p.19

où finit ton corps commence ta présence, disait pourtant le titre de ce recueil... soudain, je comprend que ce texte, rédigé au présent, est un hommage posthume qui ne redonne vie à l'aimée que le temps d'un poème, hélas !

          LÀ OÙ FINIT TON CORPS

          Là où finit ton corps
          Commence ta présence

                              *
          Ta voix tes yeux ton front
          Tu ne peux pas être plus nue

                              *
          Mes mains de les toucher s'envolent
          Comme des ailes de ton cœur
          Tes seins

                              *
          Tu embellis à vue d'œil
          Tant je rêve de toi
          La nudité est ton fort

                               *
           Leur souvenir prolonge tes caresses
           Chacun de nous s'endort du coté de l'autre
           Et son rêve l'éclaire

                               *
           De seulement te regarder
           Ton miroir se trouble

                               *
           Si tu es si transparente
           C'est que m'attire l'invisible
         
           ibid p.24


          SI ELLE PARLE

          Si elle parle je respire
          L'air qui entoure sa poitrine
          Si seulement elle me touche
          Je deviens transparent

          Elle m'habite en son absence
          Et je ne suis que ce qu'elle sent
          Désire entend voit rêve pense

          ibid p.23


Fouad El-Etr est né au Liban en 1942. Il vit à Paris. Il est le fondateur de la revue de poésie, La Délirante, créé en 1967 et de la maison d'édition du même nom, où il a publié de nombreux poètes tels Schéhadé, Borges, Cioran...
Le soin apporté à l'édition, la remarquable qualité du papier, de l'impression, des gravures qui l'accompagnent font de ces livres des livres précieux.

sur internet: