Port des Barques

Port des Barques

vendredi 13 octobre 2017

Yehuda Amichaï dans l'entre-deux d'une vie

  
            Entre deux

         Où serons-nous quand ces fleurs deviendront fruits
         dans l'étroit entre deux, où la fleur n'est plus une fleur
         et le fruit n'est pas encore un fruit. Quel merveilleux
         entre deux
         nous formions l'un pour l'autre, entre nos corps,
         entre nos yeux, entre l'éveil et le sommeil.
         Entre chien et loup, ni jour ni nuit.

         Ta robe de printemps a pris si vite
         les couleurs de l'été, elle flotte déjà
         à la brise de l'automne.
         Ma voix n'est plus ma voix
         mais déjà, presque prophétie.

         Quel merveilleux entre deux nous étions, comme la terre
         entre les fissures du mur, brin de terre têtue
         sous la mousse vivace, le câprier épineux
         dont les fruits âpres
         rendaient plus doux ce que nous mangions ensemble.

         Voici les derniers jours des livres
         avant que viennent les derniers jours des mots.
         Vienne le jour où tu comprendras.

         in Le baiser de la poésie,
         Choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, dans un numéro hors-série de la
         Revue Levant, 2012, p.12.

Les poèmes d'amour de Yehuda Amichaï (1924-2000) précèdent ceux de Ronny Someck, son confrère, dans ce beau numéro hors-série, acheté à Sète.
Heureuse découverte d'un poète dont la sensualité n'a d'égal que l'amour, qui court entre les lignes et donne sa saveur à l'instant.

         Tes yeux sont de paisibles bouches
         ta bouche sous la surface de la mer
         ton visage est du sable qui tremble.

         Tirant les cheveux,
         tu attires les jours et les mots
         vers ce que d'autres temps
         auraient appelé une maison.

         Jamais plus est aussi
         une éternité,
         mon goût,
         ma part d'éternité.

         ibid p.14

On peut se réjouir longtemps, et bien au delà de la séparation ou de la mort, du bonheur d'avoir vécu un véritable amour. Chaque mot se pose, tel un onguent sur nos blessures.

         J'ai lissé tes cheveux dans le sens du voyage
         et dans ta chair j'ai touché la prophétie.
         J'ai touché ta main, jamais endormie,
         et ta bouche qui peut encore chanter.

         Le sable du désert recouvrait la table,
         où nous n'avons pas mangé,
         mais où mes doigts ont écrit
         les lettres de ton nom.

         ibid p.15

Toute la magie du souvenir murmure, ici, à tendre voix entre les lignes.

          Cadeaux d'amour

          À ton oreille, à tes doigts,
          j'ai mis de l'or,
          l'or pour le temps, sur ton poignet.
          J'ai fixé beaucoup de brillants
          pour que tu glisses dans le vent
          en tintant doucement
          au dessus de mon sommeil.

          Je t'ai régalée de pommes,
          pour que nous nous roulions,
          comme dans le Poème,
          sur un lit de pommes rouges.

          J'ai caressé ta peau d'un tissu rose
          aussi transparent qu'un petit lézard,
          ses yeux sont un diamant noir
          dans les nuits d'été.

          Tu m'as permis de vivre quelques mois
          sans autre besoin de religion
          ni de vision du monde.

          Tu mas donné un ouvre-lettres d'argent
          mais de telles lettres ne s'ouvrent pas,
          on les déchire, elles se déchirent.

          ibid p.16

Et le poète conclut par ces mots l'évocation de sa vie amoureuse :

         (...)

         Nous avons continué la prophétie : conversation à deux, robe d'été, linge accroché à une corde,
         rebord de fenêtre. Et nous continuerons, nous continuerons, nous serons orgueil et humilité,
         nous serons le temps qu'il fait, nous serons les saisons de l'année. Nous serons.

         ibid p.17

Je vous engage vivement à ouvrir le lien indiqué plus bas pour accéder à un bel article d'Esprits Nomades à propos de l'auteur.

Bibliographie :
  • Le baiser de la poésie, 24 poèmes d'amour de Yehuda Amichaï et Ronny Someck, choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, éditions Levant 2012.
sur internet :

         
        

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire