Port des Barques

Port des Barques

vendredi 6 octobre 2017

Lionel Jung-Allégret à partir d'un silence

     
             N'entends-tu ce silence d'avant toute naissance
             Son exigence à exister malgré le corps


            À être; et en être le destin.

           
            Ne l'entends-tu qui t'agrippe.
            Remonte dans tes veines jusqu'à ce temps qui va
            vers ce qui fut
            ou peut-être ne fut rien.

            Ne le vois-tu qui avance depuis ce mur au bout de toi

            Ce mur devant tout regard. Ce mur devant toute vie. Ce
            mur de matière morte que l'on voit se lever dans le corps
            éteint et froid de ceux qui l'ont atteint.

            in Ce dont il ne reste rien, éditions Al Manar, avec des encres de Catherine Bolle, 2017, p.30


C'est avec beaucoup d'émotion, qu'en juin dernier, j'ai écouté la lecture de ce recueil, faite à voix haute par son auteur, d'une voix qui, revenant à la table du jour, y posait le couteau du souvenir.  

            On attend la mort qui n'apparaît jamais.

            Elle tient là
            hors de la main
            posée sur un souffle.

            Arrachée à la pluie des visages.
            À l'immobile lumière.

            Parole étrangère à toute parole
            étrangère à toute attente.

            ibid p.16

L'œuvre poétique de Lionel Jung-Allégret gagne en profondeur et en intensité à chaque nouveau recueil et la diction parfaite de l'auteur, lors de lectures publiques, en fait un hymne antique.

Les encres de Catherine Bolle, qui accompagnent Ce dont il ne reste rien, paru en avril 2017,
chez Al Manar, soulignent sobrement de noir les derniers murs à abattre et la ligne rouge à ne point franchir.
Une double mise en garde de l'auteur, faite de citations choisies et d'un beau texte en italique, dont je cite un bref extrait ci-dessous, nous introduit à une lecture méditative.

             Tu es ce que tu écris
             et ce que tu écris

             est Autre
             ...

À première vue :

             D'ici, tout se confond. Feu, ciel, lumière et eau.

             La parole qui naîtra et sa précédente.
             Le temps immobile
             et celui qui ne s'attarde pas.

             Lente
             notre faiblesse dans le va-et-vient du rien.

             ibid p.18

Le lecteur, conquis, est soulevé par ce grand souffle :

             Il y a du vent
             dans la fomentation de l'air
             dans le sable
             du sable
             des mots
             une lumière
             et autres choses.


             La parole comme un rêve se fait serpent
             souffle par les nues

             appelle d'entre le temps
             le jaillissement d'une soif.

             ibid p.11
            
Le poète, gravissant la hauteur aveuglante, accueille ce qui vient dans le silence bruissant du monde :

             Des enfants allongent leurs âges sous des draps fins. La
             nuit couvre ce qui respire, dévore les cris qui ruissellent
             entre les jambes.

             Dans mes mains jointes, se presse une parole. Elle n'est
             ni mot ni silence. Endeuillée de capes de néants noirs,
             voici qu'elle avance comme une colère.

             Je n'entends rien qui lui tient de vie. J'entends les pleurs.
             Les mères tournoyantes. Les mains aux ancres rouges sur
             les éviers ébréchés. Des casseroles de fer. Des eaux qui
             sifflent et qui bouillent.

             Des cordons de sangs noirs pendus plus haut que la lumière.

             J'entends l'air exhumé des poumons et les vagissements
             entre les portes du deuil.

             ibid p.25

Devant ce décor apocalyptique, le poète s'engage solennellement et témoigne de l'urgence de la tâche :

             Écris ce que tu sais. Écris ce que tu es.
             Écris-le avec le froid.
             Écris-le avec la peau de tes morts collée à ta peau.

             Écris-le comme la seule respiration qui brûle dans l'air.

             Avec le gel dans les brocs.
             Avec les iris crevés.
             Avec les cris des mères analphabètes.
             Avec leur saleté et leurs odeurs de cuir chevauché.

             ibid p.32



             Emporte toute parole. Vide-la jusqu'à la paix.
            
            Vide-la jusqu'au silence de ta naissance.

            Un oiseau s'ouvre chaque matin entre les cuisses de celles
            que tu as aimées.

            Le désir n'a pas de fin.

            ibid p.63

bibliographie:
  • Ce dont il ne reste rien, avec des encres de Catherine Bolle, éditions Al Manar, 2017
sur internet:

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