1
Dans quel jeu te caches-tu ?
dans quel tarot
usé par des bandits apparaît ton visage ?
es-tu une femme blessée ?
une femme lapidée accusée d'adultère
et de lèse-majesté ?
es-tu encore vivante ?
le murmure de ta peau réveille
mon murmure
j'écoute un fleuve de poussière doré
rivière et ruisseau
c'est toi ou c'est moi ?
in Le soudeur de murmures, éditions Folle Avoine, 2017, p.25
Ce dernier recueil de Luiz Mizon, paru en mars 2017, suit de peu celui évoqué la semaine précédente. La poésie fuse sous des formes surréalistes de l'écho d'un sonar au chant d'une sirène, tandis qu'un secret fragile se défait sans rien dire au milieu de l'océan.
II
1
J'écris sur une brique
la liste de mes choses cassées
par exemple les sirènes
les sirènes habillées de sang et de suie
par le soleil couchant
appuyées contre le mur
peint d'argile rose
et celle qui me tourne le dos en rêvant
elle dit deux ou trois mots
sans écho
et descend l'escalier
vers une mer plus profonde
que la vibration du bleu
ibid p.29
3
J'ouvre la fenêtre et ma pensée s'envole
détachée de ma main
j'ai un clou
un marteau un tableau et la mer
le vent souffle mais je suis fatigué
j'aime le silence
d'un voilier immobile
et son reflet qui danse
sur la racine du Sud
ibid p.31
6
De la pierre au visage
du visage à la parole
de la parole au poème
combien de tourbillons ?
chaque tourbillon
abrite d'autres tourbillons
puits de lumière qui tourne
pierre qui a besoin de chanter
ibid p.34
Ce besoin de chanter des choses, le poète est seul à le percevoir et l'exprimer avec une justesse et une intensité toute personnelle. Transmission unique, que chacun reçoit à sa manière ou pas du tout, mais quand le courant passe, quelle ivresse nous offre ce fabuleux métier de "soudeur de murmures" !
IX
2
Un arbre pousse sous le ciel déchiré
camaïeu de lumière noire
ardoise du vent
mes chiffres et calculs se sont effacés
dans la poussière du ciel
seule une balançoire nous sauve
du naufrage du requin
de la tempête
ibid p.58
Ce dernier poème m'évoque le souvenir d'une modeste planche de bois, pendue par deux cordes à une branche d'arbre et langoureusement bercée par les alizés, à qui je dois mes premières envolées lyriques. Il faut parfois beaucoup de silence et d'ennui pour pénétrer le monde féerique de la poésie.
bibliographie:
- Le soudeur de murmures, éditions Folle Avoine, 2017
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Luis_Miz%C3%B3n
- un précédent article à propos de l'auteur paru sur le Temps bleu du 11/8/2017: Luis Mizon, La mémoire des métamorphoses
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